Une “poésie numérique”? Khlebnikov et Jakobson, Marinetti, Schwitters, Kostelanetz

Critical Writing
Language: 
Year: 
2013
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Abstract (in French): 

Quelques protagonistes des avant-gardes historiques montrèrent de l’intérêt pour une poésie exclusivement faite de nombres.
Kamenskij jugeait Khlebnikov atteint de “chiffremanie”. Mais le jeune Jakobson aussi, exerçant dans le milieu de l’avant-garde moscovite, savait que la partie la plus singulière des doctrines de Khlebnikov était celle consacrée aux nombres. C’est dans une lettre du février 1914 que Jakobson lui demande donc quelques exemples de vers numériques: «Ils me semblent réalisables. Mais le nombre est une arme à double tranchant: extrêmement concrète et extrêmement abstraite, arbitraire et fatalement précise, logique et absurde, limitée et infinie. […] Les nombres sont à vous familiales, et si donc vous reconnaissez dans la poésie numérique un paradoxe somme toute inacceptable, mais néanmoins excitant, cherchez … à me donner un exemple, même minimum, d’un tel genre de vers». Après avoir souhaité la victoire du nombre sur le mot comme technique de pensée, Khlebnikov aboutit à l’idée d’une poésie faite de combinaisons de lettres, pourvues de sens sans qu’elles soient des mots de la langue. On est à l’origine de la ‘zaum, la langue transmentale, prodrome de la Poésie sonore.
Ce n’est qu’un mois après la lettre de Jakobson à Khlebnikov, que le futuriste Marinetti lance le manifeste La splendeur géométrique et mécanique et la sensibilité numérique; cohérent avec les principes de la précision et de la synthèse, il prévoit l’insertion, dans le texte parolibriste, de nombres, signes mathématiques, théorèmes et équations. À la même période on peut faire remonter un poème, manuscrit et resté inédit, presque complètement numérique.
Le mythe d’un texte qui ne signifie que soi même est proposé à nouveau par les poèmes numériques de Schwitters. Zwolf présente quand même «a regular principle in the structure of the poem»; Gedicht 25 (le plus connu, lui aussi de 1922) a été considéré «a model of patterning and unpredictability in poetic art […] a set of signs which suppress the poetry of lexical and oral values entirely», expression exemplaire de la poétique dadaïste de l’anti-poésie, ironique, anti-traditionnelle, apparemment “élémentaire” et banale: «The more carefully one reads, the more readily logic and humour emerge from their mathematical shells and interact to build a fascinating, pleasing and meaningful form». Gedicht 25 développe patterns doués d’un propre rythme, «changed at the precise moment when they might have become predictable». Meredith McClain a précisé les relations parmi les éléments de la structure du texte et les principes de la sonate musicale (ceux-ci bien connus à Schwitters, comme va démontrer son Ursonate).
La poésie numérique de Schwitters est aujourd’hui considérée un prodrome de la Poésie concrète du vingtième siècle, à l’intérieur de laquelle se placent, en particulier, les recherches des années Soixante-dix de Richard Kostelanetz, qui définie sa “numérature” «the creation of a numerical field that is both visually and numerically coherent, with varying degrees of visual numerical complexity»: «Audiences must be “numerate” to comprehend and respond to them, much as they must be “literate” to read and respond to modernist poetry and fiction»

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Rebecca Lundal